DES ENFANTS A VISAGE HUMAIN
Ours, lapins, souris, grenouilles, bêtes, bébêtes, bestioles et bestiaux : ils sont très mignons, et même irrésistibles les héros de la grande majorité des livres pour enfants. Les lecteurs en herbe s'identifient sans peine aux hérissons en boule, aux oisillons tombés du nid et aux louveteaux pas si méchants que ça.
Mais quand on y réfléchit, qui sont les illustrateurs capables de dessiner avec grâce, avec justesse, de simples petits enfants, des cheveux en bataille, des yeux brillants et des bonnes joues bien rouges ? Il se comptent sur les doigts de la main gauche de Django Reinhardt.
De l'aveu des éditeurs, des amateurs et des plus grands professeurs, le visage d'un bambin est une des choses les plus difficiles à croquer du monde (avec le cheval, la bicyclette et le ravalement d'immeuble.)
Akiko Hayashi fait partie de cette classe de « happy few » qui savent dessiner non seulement pour les enfants mais aussi les enfants eux-mêmes. Akiko est née au Japon et, si elle n'a pas elle-même de progéniture, ses nombreux neveux et nièces lui servent régulièrement de modèles. Trait à la plume, tout en finesse pour les contours, crayons pour les couleurs : l'évidence de l'art d'Hayashi cache une grande maîtrise technique, exactement comme la grâce d'un danseur de claquettes ou d'une patineuse acrobatique.
Quant aux sujets de ses albums, ils sont tantôt classiques et traités avec une tendre vérité psychologique (les rapports difficiles entre frère et sœur : « Aya et son grand frère », « Aya et sa petite sœur », l'attente du Père Noël : « Bonsoir Père Noël », in Trois petits Noëls), tantôt gentiment farfelus (« L'étrange pantalon » et « Le gâteau aux fraises », in Trois petits Noëls, « Attention ! Peinture magique »), tantôt carrément originaux : « La chevrette qui savait compter jusqu'à 10 » est une coquine habillée d'un gilet rouge et obsédée de calcul qui veut à tout prix compter tout ce qu'elle croise. Mais si la flaque d'eau se laisse faire sans broncher, le veau va pleurer chez sa mère : « Elle m'a compté! », la vache se fâche, le taureau voit rouge, et la chevrette réussit à semer la zizanie jusque sur un bateau où ses talents lui feront finalement trouver un travail de compteuse de passagers ! Une excellente incitation pour tous les mathématiciens en herbe, ravis de se faire traiter de « chevrette mal élevée ».
Quant à « Ken, le renard d'Aki », il est l'un des très rares animaux en peluche élevés au rang de biographe de sa petite maîtresse. Envoyé par une grand-mère prévoyante, assis sur une chaise au chevet du berceau, il attend. Le bébé arrive : enfin sa mission commence. Mais Aki grandit et malmène son favori : Ken, décousu, sali, écrabouillé doit aller se faire réparer chez la grand-mère... Pendant le voyage en train jusqu'au village des dunes, Ken prend la direction des opérations et subit encore quelques avanies... Tous les enfants amoureusement mâchouilleurs d'oreilles et broyeurs de pattes s'identifieront avec bonheur à l'intrépide Aki. Au fait, Aki, c'est sûrement le diminutif d'Akiko ! Sophie Chérer. Extrait de l’Album des Albums, l'école des loisirs, 1997