« La mort, c’est pas si triste ! » Autour de l’album d’Olivier Tallec, Est ce qu’il dort ?, L’école de loisirs
Philosophons avec nous enfants !
Prenons le temps de nous poser pour philosopher avec nos enfants, offrons-leur des oasis de lecture et de pensée. Aimer les histoires, aimer se plonger dans les mondes de l’imaginaire est universel. Toutes les civilisations inventent des récits qui ont pour fonction, à la fois de nous divertir de la réalité (de nous amuser, de nous aider à oublier nos soucis), mais aussi au contraire, de mieux donner sens à notre expérience du monde et tenter de répondre aux grandes questions qui nous concernent toutes et tous. Car il n’y a pas d’âge pour se poser des questions philosophiques et très jeunes, en proie à l’expérience humaine fondamentale de « l’étonnement devant le monde » (Aristote), les enfants nous interpellent sur la condition humaine et les relations sociales. Les fictions instaurent une bonne distance affective pour aborder avec délicatesse et humour ces grandes questions que l’enfant se pose au quotidien. Les livres sont comme des amis qui à la fois nous amusent, nous divertissent, nous font voyager mais aussi qui nous aident à grandir et à mieux apprivoiser le monde.

Pourquoi on meurt
La mort est sûrement la première de toutes les questions. Première parce qu’elle se pose très tôt, dès 3,4 ans, quand les enfants commencent à saisir son existence et qu’ils pressentent l’importance et l’extrême sensibilité de ce phénomène (pourquoi tant de tristesse, de gêne, chez les adultes ?). Jusqu’à 8 ans environ, les enfants n’appréhendent pas le caractère irréversible de la mort. Cette question est donc beaucoup moins anxiogène pour eux que pour les adultes. Nous pouvons donc l’aborder sans crainte et de façon sereine - surtout à partir d’une histoire qui permet de mettre de la distance émotionnelle.
La mort est une aussi question première parce qu’elle est la plus essentielle de toutes les questions humaines : elle conditionne toutes les autres sur le sens de la vie. Tous les êtres vivants vont mourir : les plantes, les animaux sont soumis inexorablement au cycle de la vie qui aboutit à la mort. Vivre tue ! Mais parmi tous les êtres vivants et donc mortels, seuls les humains ont véritablement conscience de cette mortalité. C’est ce qui fait à la fois la grandeur et la fragilité de la condition humaine. Devant le gouffre de sa propre disparition, l’être humain est amené à faire des choix fondamentaux qui vont donner sens non pas seulement à sa vie mais à son existence.
Parmi l’ensemble des possibilités qui s’ouvrent à moi dès ma naissance, une seule se produira nécessairement, c’est la « possibilité indépassable » comme le disait le philosophe Martin Heidegger, celle de ma propre disparition. Je dois avoir devant cette certitude une « attitude authentique », celle de la prise de conscience lucide de la réalisation de cette possibilité et à partir de là du choix responsable et éclairé de ce que je vais devoir, pouvoir, vouloir réaliser d’ici là : qu’est-ce qu’une vie bonne et heureuse?
La conscience de notre mortalité est donc à la fois une tragédie et une chance. Tragédie parce qu’elle génère l’angoisse fondamentale de disparaître ou surtout d’être séparé de ceux ou celles qu’on aime mais aussi une chance parce qu’elle donne finalement toute sa saveur à notre existence. La question de la mort nous amène finalement à celle du bonheur et de la joie de vivre ici et maintenant.
La question du souvenir est aussi essentielle quand on aborde la question de la mort avec les enfants. Comme dans le très beau dessin-animé Coco, nos morts continuent d’exister tant que l’on se souvient d’eux. D’où l’importance universelle des rituels (comme déposer des fleurs sur une tombe), des cérémonies laïques ou religieuses pour perpétuer la mémoire de ceux et celles que l’on a aimé. Car, oui, l’amour est plus fort que la mort. C’est une des conclusions que l’on peut tirer des discussions avec nos enfants. Comme quoi, la mort c’est pas si triste…

Un peu d'histoire de la philosophie
Le philosophe grec Épicure (340 avec JC) cherche à répondre à cette grande question : « Faut-il avoir peur de la mort ? » Sa réponse est sans appel et plutôt rassurante : non ! Car : « Le mal qui nous effraie le plus, la mort, n’est rien pour nous puisque lorsque nous existons la mort n’est pas là et lorsque la mort est là, nous n’existons plus » (Lettre à Ménécée,). Tant que je peux dire « Je », je ne suis pas mort et quand je serai mort il n’y aura plus de « Je » : donc « Je » ne serai jamais mort ! Raisonnement implacable : je ne dois donc pas craindre quelque chose que je ne connaitrai jamais. Donc autant profiter pleinement de la vie – ce qui a donné naissance à l’épicurisme !
Quelques activités pour penser ensemble
«La mort, c’est pas si triste !»
Invitons des ami.es et organisons un « goûter philo-histoires » : petits gâteaux, jus de fruit, fictions, discussions et activités ludiques pour réfléchir ensemble sereinement sur cette très grande question.

Lire une histoire et discuter ensemble à partir de l’album d’Olivier Tallec, Est-ce qu’il dort ?, l’école de loisirs
Un écureuil bien connu des lecteurs et lectrices des albums d’Olivier Tallec se promène dans les bois avec ses amis. Ils cherchent un autre de leur compère, le merle, mais celui-ci est introuvable. Ils finissent par le trouver allongé par terre. Il semble plongé dans un profond sommeil…, un trop long sommeil… Les amis se résignent alors à accepter sa mort et décident de lui fabriquer une dernière demeure pour garder vivant son souvenir. L’histoire aborde ainsi la question de la mort à hauteur fidèle des enfants. Car la mort est d’abord pour eux, un mystère sans tragique, comme un grand sommeil. Les très jeunes enfants n’ont pas encore acquis le concept d’irréversibilité (l’irrémédiable), ils sont encore dans la pensée magique (on joue à être mort : pan t’es mort mais on se relève aussitôt). En grands philosophes épicuriens, les amis de l’histoire comprennent surtout que si l’on cesse de vivre on ne cesse pas pour autant d’exister tant que le souvenir des êtres aimés est entretenu par nos pensées et rituels. L’album célèbre ainsi le cycle de la vie, la force de l’amour pour faire de la mort une occasion de profiler pleinement de l’existence et du moment présent.

Questions à partir de l’histoire pour discuter avec les enfants :
-Pourquoi Gunther pense que c’est impossible que le merle soit mort ?
-Comment savent-ils que le merle est mort ?
-Pourquoi disent-ils que « même s’il est mort, il faut le protéger » ?
-Pourquoi décident-ils de donner son nom à un endroit que le merle aimait ?
-Pourquoi l’histoire se finit par un oiseau qui chante ?
-Ça veut dire quoi « être mort » ?
-Pourquoi c’est important de se souvenir des morts ?
-Est-ce que ce serait bien d’être immortel ?
-Est-ce que c’est forcément triste de penser à la mort?
-Pourquoi les êtres humains ont-ils besoins de croyances sur ce qui se passe après la mort et de rituels ?
-Savoir que la mort existe peut-il rendre la vie plus belle

A la découverte de l’université des mythes, légendes, croyances autour de la mort :
De façon intemporelle et universelle, les êtres humains cherchent à se représenter ce qu’il y a après la mort. Cette quête de sens a donné naissance à une multiplicité de mythes, légendes, croyances, religions - ou l’adhésion à l’athéisme aussi bien sûr. Mais la mort reste une énigme. On pourra ainsi aller à la découverte de la pluralité universelle de ces rituels et de ces histoires, notamment grâce aux double-pages sur les croyances et l’importance du souvenir dans le magnifique album de Peter Spier, 7 milliards de visages, l’école des loisirs : https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/sept-milliards-visages
Se déguiser, décorer, célébrer.
À la manière de la fête des morts du Mexique (comme dans le dessin-animé Coco ), on peut fabriquer des masques, des déguisements, décorer la maison de bougies, de guirlandes colorées, fabriquer des autels colorés.
