« BIENVENUE ! VOICI LA JOURNEE SANS DECONVENUE » Il y en a qui commencent par dessiner des petits lapins et qui finissent en croquant les Présidents de la République dans les colonnes des journaux. Rosemary Wells a une autre conception du progrès en art. C'est à 9 ans que Rosemary adorait dessiner des caricatures d'hommes politiques, et c'est aujourd'hui, depuis une quinzaine d'années, qu'elle passe le plus clair de son temps à peindre les aventures de Max le lapin blanc, Timothée le raton laveur, Charles la souris, Fritz le blaireau et autres habitants de La Planète des Lapins. Max est un lapin pas comme les autres. Jamais il ne montre ses dents de lapin. Jamais il n'ouvre la bouche. Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas de prendre la parole au nom de tous les petits enfants du monde pour faire remarquer que l'œuf que sa sœur Marie veut absolument lui faire avaler n’est PAS BON, de baptiser BATEAU le pot du sorbet à l'orange qui colore l'eau de son bain, ou de répondre BOUM à toutes les tentatives d'enseignement de vocabulaire de Marie. Mais c'est surtout par l'action que Max se signale. Avec un air tantôt renfrogné, tantôt ahuri, malin, réfléchi, et pour finir toujours épanoui, il teste pour vous toutes les bêtises possibles et imaginables qu'on puisse faire de 2 à 6 ans, des plus quotidiennes aux plus mythiques (nouvelle série "grecque" inaugurée avec les histoires du roi Midas (« Max le gourmand ») et de la boîte de Pandore (« Max et la boîte interdite ») brillamment adaptées. Pas plus que Max, Charles le timide qui lui est pourtant en âge de parler couramment, ne donne la priorité la parole . Mais c'est lui qui, dans une situation grave, saura prendre des initiatives, et même trouver les mots qu'il faut, pour littéralement sauver la vie de quelqu'un. C'est dans ses souvenirs d'enfance et sa vie familiale, avec son mari architecte à New-York, leur fille "Beezoo" et leur terrier Angus (qui prête ses expressions fatalistes et amusées aux animaux des albums) que Rosemary Wells a d'abord puisé son inspiration. Partage des jouets entre frères et sœurs, rituel du coucher, malheur à l'école de ceux qui ne sont pas les meilleurs, timidité chronique, désordre dans les chambres... tous ces grands et petits problèmes de la vie quotidienne, elle sait les traiter avec humour, justesse et persuasion, le plus souvent en laissant les parents en-dehors du coup et du cadre des images, ce qui décuple la satisfaction des lecteurs ! Mais récemment, l'imagination roborative de Rosemary s'est envolée de la maison pour appeler à la rescousse les fées ou la Providence. Dans la série des mythes grecs de Max, tout finit par s'arranger et personne n'est maudit. Dans l'histoire shakespearienne du « Petit prince paralysé », Francisco le prince cochon handicapé met en échec la dictature de son oncle et rend le bonheur à son peuple avec l'aide d'une drôle de fée marraine qui apparaît dans un bruit de popcorn. Quant aux petits lapins meurtris par la malchance, l'injustice et le poids trop lourd d'une journée pourrie (eh oui, ce sentiment existe aussi quand on a 5 ou 7 ans, et il est plus fort que jamais !), ils peuvent s'envoler pour la « Planète des Lapins », «loin par-delà les étoiles et la lune, à vingt années-lumière au sud de Neptune», où les attend La Reine Jasmin pour tout consoler et faire vivre aux rêveurs une vie... rêvée en les avertissant :«Bienvenue. Voici la journée sans déconvenue.» Sophie Chérer. Extrait de L’Album des Albums, l’école des loisirs, 1997.