DES PINCEAUX DANS LA BROUSSE « Allô, allô, bonjour, ici Mireille d'Allancé, voilà je vous appelle de l'aéroport, je viens de mettre l'homme de ma vie dans l'avion pour Djibouti. - ... - Non mais c'est pas triste, je le rejoins dans un mois, parce que j'accouche dans une semaine ! - ... - Je vous appelle parce que nous allons vivre dans la brousse pendant un an, et moi je veux partir avec un projet. Je ne veux pas NE RIEN FAIRE là-bas. Le plan popotte et couche-culottes, très peu pour moi ! - ... - Ah oui, j'ai oublié de vous dire, je suis prof de dessin, j'ai enseigné pendant sept ans. Et je veux dessiner, voilà. » Il faut croire qu'à l'autre bout du fil, l'éditeur que Mireille avait appelé au hasard, en feuilletant les pages jaunes dans une cabine de Roissy, fut séduit par ce discours, car il lui donna rendez-vous sur-le-champ, lui fit faire un essai à la clinique, lui envoya son premier contrat un mois plus tard, en Afrique, et comme elle répondait qu'elle ne trouvait pas de boutique de beaux-Arts sur place, lui balança au beau milieu de la brousse un colis militaire plein de pinceaux et de papier. Une porte de l'appartement lui servait de table à dessin. Comme peintures, elle avait une toute petite boîte offerte en cadeau au fond d'un paquet de lessive ( elle l'a toujours et elle la montre, comme un trophée, à tous les enfants qu'elle rencontre.) Ce culot, cette opiniâtreté, cette humour permanent, alliés à une douceur profonde et à une grande attention aux autres, on les retrouve dans ses albums pour les petits, qu'elle brocarde avec tendresse les papas trop débordés de travail pour penser aux anniversaires (« Papa exagère »), qu'elle se souvienne de sa passion des déguisements, quand à 8 ans elle fouillait la malle du grenier, ou partait guetter les mariées qui sortaient de l'église au bout de la rue, ou recevait son premier choc artistique à 10 ans avec le ballet « Casse-Noisette »(« C'est l'heure de dormir », « L'anniversaire de Boudinette ») ou qu'elle encourage tout le monde, lors d’animations dans les écoles, à se lancer et à voler de ses propres ailes (« Léon Zozio »), elle qui a fait tous les petits boulots avant de trouver sa voie. Mais depuis qu'elle avait cessé d'enseigner pour passer toutes ses journées devant sa table à dessin, Mireille avait un problème. «J'aime les gens, ils m'intéressent, et je ne les rencontre plus !» Alors elle s'est inscrite à Lille en fac de techniques audiovisuelles et elle aimerait se lancer un jour dans les documentaires « pour montrer le féerique des gens ordinaires, du quotidien en apparence le plus plat.» En attendant, après sept déménagements en neuf ans de mariage, Mireille vient enfin de poser ses valises dans un grand appartement avec atelier, sa table de travail est redevenue «une prairie pleine de pâquerettes», et, fidèle à elle-même, elle n'a de cesse d'empoigner le volant de sa voiture, pour y trouver plein d'idées d'histoires en appuyant sur le champignon, et surtout pour aller à la rencontre de ses lecteurs dans les écoles. Sophie Chérer. Extrait de l’Album des Albums, l'école des loisirs, 1997