C’ETAIT PIRE AVANT ! Tout le monde rêve d'avoir un grand-père flegmatique et malicieux, aux grands yeux attentifs, à la moustache aussi blanche que de la crème Chantilly, qui ne nous répète pas à longueur de journée que de son temps, c'était mieux, ni que tout fout l'camp, ni que celui qui n'a pas connu son époque ne connaît rien de la vie, mais qu'au contraire, c'était PIRE avant, et qui nous fasse « connaître notre bonheur ». Ce grand-père idéal existe. On le rencontre dans la plupart des albums de James Stevenson. L'histoire commence toujours de la même façon. Grand-Père prend des nouvelles de ses deux petits-enfants, Marie-Anne et Louis : «Comment s'est passé ce premier jour de classe ?», ou «Heureux de voir la neige ?» ou bien «Alors on s'amuse ? On profite de la pluie ?» ou encore «Comment trouvez-vous votre nouveau quartier ?» Et invariablement, les enfants consternés répondent que NON, pas du tout, ça va très mal, ils sont malheureux, frigorifiés, tout seuls sans aucun ami, ou qu'ils en ont marre de la pluie. Alors le Grand-Père se met à leur raconter que quand il avait leur âge, l'école tait effrayante, le maître était un monstre, le nouveau quartier était laid et hostile, la pluie diluvienne inondait jusqu'au grenier, et que pendant l'hiver 1908, même les bains chauds se mettaient à geler dans les baignoires... Et l'histoire se déroule sous forme d'une bande dessinée, pleine de bulles et d'onomatopées gigantesques, dont les héros, Grand-Père et son petit frère Oncle Eddie, ont des bouilles de bébés avec des petites moustaches noires. Il leur arrive les pires catastrophes, vraiment, mais tout s'arrange... Et comme chez James Stevenson, le mieux n'est jamais l'ennemi du bien, le récit de Grand-Père est à peine terminé qu'un Oncle Eddie replet et souriant sonne à la porte à point nommé avec d'énormes glaces à la fraise pour tous... On retrouve cette même progression dramatique, ce même incorrigible optimisme dans les autres albums, tendres comme « Hôtel Beau Rivage » (tout en noir et blanc), « Le lendemain de Noël », ou le désopilant « Vite ! Tourne la page ! » où il suffit au lecteur de faire ce qu'on lui demande (soit, tourner la page) pour dénouer des situations inextricables comme par un coup de baguette magique. Quand il était petit, peut-être James Stevenson avait-il déjà sa belle moustache tombante. Ce qui est certain, c'est qu'il adorait lire des bandes dessinées, aller au cinéma et écouter la radio, autant de passions qui ont nourri le rythme et la drôlerie de ses livres pour enfants. Les lecteurs du « New Yorker » ont pu suivre pendant des années son "comic strip" politique. Un domaine réservé aux adultes, où, hélas, contrairement à ce qui semble être la devise de James Stevenson, les choses ne finissent pas toujours par s'arranger. Mais il paraît que du temps de l'affaire Stavisky ou du canal de Panama, « c'était pire »... Sophie Chérer. Extrait de L’Album des Albums, l’école des loisirs, 1997.