LEVINE L'ENSORCELEUSE : Gail Carson Levine a été une grande lectrice enfantine de contes de fées, a fait partie du club "Scribble Scrabble" de son école (intraduisible : ça donne quelque chose comme "Gribouillage et Farfouillage"), ses poèmes ont été publiés dans une anthologie de poèmes de collégiens, puis elle s’est fourvoyée dans l’illustration de livres d’enfants, et s’est vue refuser tout ce qu’elle avait tenté d’écrire et de dessiner pendant neuf ans…
Gail Carson Levine est née le 17 septembre 1947 à New York. Elle écrit la plupart du temps au cours de ses trajets en train ou en métro.
« Quand j’étais petite, dit-elle, j’aimais les contes de fées parce qu’ils donnent envie de tourner les pages. En tant qu’adulte, c’est leur logique illogique qui me fascine. »
L’idée des "Deux Princesses de Bamarre" est née d’un désir de transformer en roman le conte des frères Grimm "Le Bal des douze princesses".
C’est, depuis ses gammes sur "Cendrillon", la façon désormais habituelle de procéder de Gail Carson Levine, sa marque de fabrique. Elle ne retourne pas la morale des contes comme ont pu le faire Boris Moissard et Philippe Dumas dans les "Contes à l’envers", elle ne truffe pas ses variations sur les ogres et les elfes d’anachronismes farfelus comme le fait Christian Oster, elle s’empare de la logique d’un conte existant et la pousse jusqu’au bout.
Dans "La fée s’est trompée" par exemple, la simple trame du très court conte de Perrault, "Les Fées" (3 pages), donne lieu à une éblouissante démonstration par l’absurde : une fée veut récompenser une gentille et punir une méchante en leur faisant respectivement cracher des pierres précieuses et des crapauds dès qu’elles ouvrent la bouche. Mais réfléchissons un peu ! Qui est puni ? La méchante à qui tout le monde passe ses caprices sinon elle dégobille des saletés visqueuses, vraiment ? Et est-ce un cadeau que d’être forcée à parler à longueur de temps par un entourage vénal et impatient ? Quant à la Miss Chichis du "Concours de princesses" (en fait la sensiblissime Princesse au petit pois), elle est sans doute excellente comme top model de magazine people, mais de là à faire une épouse idéale, il y a un pas et quelques épaisseurs de matelas multispires…
« Il y avait donc douze sœurs princesses au départ dans cette histoire, explique-t-elle. J’en ai supprimé neuf, ce qui fait qu’il en restait trois, mais je me suis heurtée à tant de problèmes et de mystères avec ce conte que j’ai fini par écrire quelque chose de radicalement nouveau, en faisant dégringoler le nombre d’héroïnes jusqu’à deux. Il se trouve que j’ai une sœur, Rani, de cinq ans et demi mon aînée. Nous partagions une chambre quand nous étions enfants, ce qui n’encourage pas l’amitié. Ce que nous désirions par-dessus tout, c’était de l’intimité, de la vie privée ! Mais en grandissant nous sommes devenues complices, et la relation entre Meryl et Addie est un hommage à notre amitié d’adultes. J’ai eu par exemple l’occasion dans "Ella l’ensorcelée" de donner ma réponse à une question qui m’avait toujours turlupinée : pourquoi les elfes abandonnent-ils le Cordonnier ? D’autres réponses sont possibles, bien sûr, et je pense que le nœud de l’histoire touche à la gratitude et à la reconnaissance, et que c’est un bon exemple de la profondeur des contes de fées. »
Sa sœur Rani est une artiste peintre et professeur d’arts plastiques. Leurs parents les ont poussées toutes les deux à développer leurs talents créatifs. Elle travaille dans l’administration des services sociaux, et ce travail lui plaît même si, pour trouver le temps d’écrire, elle doit rentabiliser ses trajets en métro ou en train, un carnet sur les genoux.
« Travailler dans le monde réel est très dur, je trouve. Je me console en me disant que, pour beaucoup de gens, c’est inventer des histoires et écrire des livres qui paraît dur, alors que moi, c’est mon bonheur. »
Portrait paru dans le catalogue Neuf - Printemps 2004