Monsieur Pollak et Monsieur Muir inspirent Malika Ferdjoukh.
L’un porte, à un c près, le nom d’un grand cinéaste ; l’autre, celui d’une dame chère au cœur des cinéphiles pour sa fréquentation des fantômes… Mais ce n’est pas à ce titre qu’ils ont donné envie à Malika d’écrire sur eux.
Nous sommes en 2003, au salon du roman noir de Lamballe. À la même table, Claude Mesplède, grand spécialiste du polar, et Malika Ferdjoukh. Ils échangent quelques propos cinéphiles, sympathisent. Ida, la femme de Claude, se met alors à raconter à Malika, qui vient de parler de son travail, l’histoire de son père, pour laquelle elle cherche une « plume ». Un journaliste, Raphaël Delbard, en a déjà utilisé une anecdote spectaculaire dans son livre documentaire Les enfants cachés. Mais c’est l’ensemble qui mérite d’être mis en forme. Quelque chose fait tilt chez Malika. Ce qui l’intéresse dans ce projet, c’est la chronique de la vie quotidienne, tous les détails qu’elle affectionne.
Elle prend rendez-vous avec le père d’Ida, Charles Pollak, chez lui, au Plessis-Robinson, tombe sur un monsieur charmant qui se livre d’emblée. « Rien qu’à la voir, avec son sourire, dit-il, on est obligé de lui faire confiance. Elle m’a donné Fais-moi peur, pour que je sache quel genre de livres elle écrivait, j’ai beaucoup aimé ! » Malika achète un Dictaphone pour l’occasion et revient, enregistre une quinzaine d’heures de témoignage, puis se documente sur l’histoire, la vie quotidienne à Paris sous l’Occupation, va se balader dans les rues qui ont vu l’enfance de Charles, à Montmartre, dans un appartement situé au-dessus de la poste du coin de la rue des Abbesses. « C’est étrange d’en arriver à connaître aussi parfaitement la vie de quelqu’un qu’on ne connaît pas. Je voyais très bien quel genre de petit garçon il avait été, quel genre de parents, de famille il avait eu. »
Mais cette vie, au fait ?
C’est simple. En quelques jours, une famille juive très pieuse et citadine quitte Paris pour devenir goy (« gentil » en hébreu, c’est-à-dire « non juif ») et campagnarde. Autrement dit, Madame Pollak priait naguère en famille le Dieu d’Israël en mangeant debout du pain sans levain place des Abbesses, et la voilà qui remplit des tonneaux de salaisons de porc dans la cour d’une ferme en baie de Somme.
France pétainiste, France communiste, terre de contrastes. Comment en sont-ils arrivés là ?
Nous sommes en 1941. Les parents de Charles sont des émigrés hongrois. Le père, Eugène, est tailleur. Trois de leurs quatre enfants sont nés en France. L’une des filles, Gilberte, vient de mourir à 15 ans d’une méningite tuberculeuse. Les temps sont parfois difficiles pour un simple tailleur, à Paris, où la concurrence est rude, où les gens n’ont plus d’argent en début d’année. Et puis surtout, c’est la guerre, la police commence à rafler les Juifs pour les emmener on ne sait où, les hommes surtout, paraît-il. Un des amis d’Eugène connaît un certain M. Muir qui habite un petit village de la baie de Somme, Feuquières-en-Vimeu (où sont fabriqués les boîtes aux lettres, les petits coffres-forts, toute la ferronnerie des paquebots). Son épouse est couturière pour dames. Il pense qu’il peut élargir son activité, travailler aussi pour hommes. Il cherche quelqu’un. « Profites-en ! » dit l’ami. Eugène saute sur l’occasion, bientôt rejoint par sa femme, souffrante. Charles et sa sœur restent seuls à Paris, à coudre, tandis que leur frère trouve d’abord refuge dans un camp pétainiste, avant de s’enfuir. Le port de l’étoile jaune va devenir obligatoire. C’est alors toute la famille qui se retrouve à Feuquières-en-Vimeu, dans des conditions rocambolesques, avec un savant mélange de culot, de chance et de naïveté. Là-bas, ils vivront des années paisibles, prospères et menacées, dans un département strictement interdit aux Juifs (car trop proche de la Manche et du mur de l’Atlantique), aidés en silence par les habitants, veillés par le sort et son ironie parfois mordante, adulés par un adjudant allemand, tailleur lui aussi dans le civil, qui fait saluer tous les matins par son régiment à l’exercice son ami Eugène…
C’est cet incroyable feuilleton que Malika a choisi d’écrire à la première personne, avec toutes ses péripéties, comme si c’était Charles qui parlait. Et, chose assez rare pour être soulignée à une époque qui goûte plutôt le pillage sous toutes ses formes, elle a absolument tenu à ce que le roman soit cosigné.
« Moi, je m’en suis sorti, conclut Charles Pollak. Si cette histoire peut aider les adolescents d’aujourd’hui à comprendre ces années-là et à bannir le racisme, je serai content. »
À vos souhaits, Monsieur.
Extrait du catalogue des nouveautés du printemps 2007 des collections Médium, Belles Vies, Théâtre et Classiques abrégés de l'école des loisirs.